Christophe Lavainne devant Charly Mottet |
6e
étape : Strasbourg – Épinal 169 km, 1700 m de
dénivelée
Jacques
Anquetil : « un coureur seul devant doit avant tout ne pas
trop penser. Il doit se concentrer sur le maintien de son effort, ses
trajectoires, ne surtout pas imaginer ce qu’il se passera après la
victoire, car c’est le meilleur moyen de la laisser échapper.
Quand je courais, je pensais aux mineurs, à tous ceux qui ont un
métier difficile. Celui qui laisse son esprit divaguer au spectacle
des femmes en maillot de bain sur le bord de la route ne peut pas
souffrir longtemps. »
Le
danger, c’est le confort.
Fort
du crédit infini du gagnant à la retraite, Jacques fait du
Anquetil : il parle avec sérieux sans se prendre au sérieux.
Monsieur Chronomètre pédalait de même.
Isolé
en tête de course depuis 20 kilomètres, il en reste autant à
Christophe Lavainne quand l’ardoisier l’alerte. Sorti en contre,
le Mexicain Raul Alcala vient, en une distance de moitié, de ramener
son retard de 2 à 1 minute. Le Français pense-t-il alors à la
douce promesse faite avant tour à Madame : lui ramener la
Peugeot 205 offerte à chaque vainqueur d’étape ?
Le
confort de l’après-course passe par la souffrance de la course.
Alors Lavainne ne pense
pas, il appuie. Il ne
pense pas au maillot jaune qu’il est en passe de prendre à Erich
Maechler, il ne pense plus à tous les déboires de son début de
carrière, à sa terrible chute du Tour du Vaucluse 1983 qui
faillit bien le priver d’une carrière professionnelle, et du plus
précieux des capitaux : la santé. Mais pas question de laisser
son esprit divaguer
sous la chaleur qui écrase le Tour, au spectacle des beautés
vosgiennes comme aux mémoriaux des deux guerres qui ont défilé
depuis le départ.
De savoir le reptile mexicain 700 mètres derrière lui restreint son
cerveau à deux fonctions : les ordres de contraction musculaire
à fins de propulsion, le pilotage.
Qui
n’a pas vu de près, in
situ, les coureurs à
l’arrivée d’une épreuve accidentée, ne sait pas la violence
des efforts qu’ils s’infligent. Au XXIe
siècle, les règles et usages de la communication auront effacé des
écrans ces images de visages déformés par l’effort, de cyclistes
désarçonnés, chancelant sur leurs jambes. Ils auront soustrait
leurs paroles fleuries, suaves ou épineuses, en un mot :
spontanées. En 2019, dès la ligne franchie, les coureurs se
dirigeront vers des bus-hôtel-cinq-étoiles dans lesquels ils
seront, en quelques minutes, abreuvés, restaurés, nettoyés,
coiffés, ré-habillés, instruits des éléments de langage du jour,
pour ensuite être présentés remis à neuf à leur public dupé.
Une
présentation juste fausse.
Car
les gars auront tout autant puisé dans leur organisme et leur mental
que leurs ascendants.
Comme,
par exemple, Bernard Thévenet au terme de l’étape du Tour 1977
arrivant à l’Alpe d’Huez...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire