Descente du Col du Télégraphe. Laurent Fignon de l'autre côté de la barrière après une chute. Charly Mottet de dos. |
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La course est à l’intérieur de la forteresse du Vercors, un
enchevêtrement de combes, arêtes, gouffres et autres synclinaux. Dans
ses dédales en trois dimensions, un homme a pris les choses en main :
Eddy Schepers.
Le Belge est un des derniers représentants de l’espèce des gregarii, ces équipiers totalement dévoués à un homme, au-dessus de leur équipe. Il est l’héritier d’Andrea Carrea, le gregario
de Fausto Coppi qui disait aller jusqu’à retenir sa vessie la nuit pour
ne pas risquer de réveiller le Campionissimo, avec qui il partageait la
chambre – Ce n’était qu’un supplice très relatif. Carrea était un
colosse de 80 kg qui avait commencé le vélo à 22 ans, au printemps
suivant son retour du camp nazi de Buchenwald, où il avait été expédié
pour le crime de sympathies communistes, et d’où il était miraculeusement ressorti à un poids de 40 kg*.
Eddy Schepers : « Stephen [Roche] sait qu’il y a peu de coureurs comme
moi. Ils ont presque tous derrière la tête l’idée de faire quelque chose
pour eux-mêmes. Même s’ils sont de très bons équipiers, ils pensent
encore à eux. À l’Aubisque, par exemple, j’aurais pu me glisser dans une
échappée. Mais je me serais fatigué et je n’aurais pas été aux côtés de
Stephen. Certains leaders ne sont pas de bons leaders. Saronni, par
exemple, fait travailler les autres même lorsqu’il sait qu’il ne marche
pas du tout. (…) Quand, lors du dernier Giro, Davide Boifava m’a demandé
de laisser l’échappée de Stephen pour attendre Roberto Visentini en
chasse, j’ai refusé. Mon patron, c’est Stephen. »
Stephen Roche : « Eddy ne demande qu’une chose, c’est que lorsqu’on
parle du contrat en fin d’année avec le boss, je ne l’oublie pas. »
Dans le no-man’s-land de la Montagne de Malatra, Madiot, Stevenhaagen
et Schepers se sont relevés de l’échappée pour attendre leurs leaders.
Dans les ressauts incessants de la Portette, Chaud-Clapier, Proncel, la
Chapelle et St-Martin, chacun joue sa partition sans retenue aux côtés
de Fignon, Roche, et, surtout, Mottet transcendé sur ses terres. Mais le
chef d’orchestre, dans cette heure et demie de course qui entre dans
l’histoire du cyclisme, c’est Eddy Schepers. Tel, dans de toutes autres
circonstances, Dietrich Thurau sur la route de Stuttgart, il dirige
l’échappée à la baguette. Car il s’avère au fil de l’étape que Mottet,
qui en se démenant sur son terrain est sous contrôle, et Bernard, qui a
perdu non pas le sien mais celui de la course, sont en passe de sortir
du jeu du général. Et mieux vaut trois hommes pour un siège que cinq.
Roche a cependant un problème : Delgado ne passe pas. Placé à 1’22 de
l’Irlandais au général, le Castillan fait son miel des efforts de ses
adversaires. Superbe, Roche fait fi de son rival futur pour se
concentrer sur le cas de son adversaire présent**.
Car les Toshiba n’ont pas déposé les armes. En l’absence de Jean-Claude
Leclercq retardé par le double épisode Tourniol – Léoncel, et qui a
retrouvé Niki Rüttimann et Guido Winterberg perdus dans la Pampa,
les volontaires Bauer, Garde et Imboden parviennent à soutenir leur
chef dans son opération sauvetage. Le retard du Maillot Jaune sur la
rébellion est, une heure trente durant, maintenu à une minute.
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